Le mois d’octobre avec son changement d’heure, ses journées plus courtes, son vent glacial qui nous paralyse quand nous sortons est déjà derrière nous. La nuit nous accompagne quand nous partons au travail le matin, quand nous rentrons du travail le soir. Cet engourdissement de l’hiver et du froid nous pousse à rester bien au chaud. Cette montée des ténèbres, comme le disent les tribus indiennes et les chamanes, vient avec Noël et Hanoucca.
Impossible de passer outre l’arrivée de cet « événement » : les les municipalités installent les décorations de Noël ; les magasins se parent de tous les attributs des fêtes de fin d’année avec leurs cohortes de sapins, de pères-Noël, de lutins, de guirlandes et autres traineaux… Même les particuliers qui rivalisent d’invention avec leur déco sur les balcons, aux fenêtres, chez eux : c’est un grand barnum… et l’incarnation de la fête familiale. Oui, familiale plus que religieuse. Noël est d’ailleurs devenu selon certains sociologues comme Lipovetsky, « une fête laïque », une fête consumériste que les personnes de toutes confessions célèbrent.
Mais Noël est aussi le temps du fleurissement de bon nombre de stéréotypes…
Noël réunit…
Le premier cliché est celui de la grande famille aimante qui se réunit.
Noël c’est donc la chasse aux cadeaux parfois 3 mois avant, ce sont les grandes tablées du réveillon où toute la famille élargie est là. Les grands-parents, parfois les arrière-grands-parents, les enfants, les petits-enfants, les cousins, les neveux, les oncles et tantes…
Ce sont les retrouvailles autour d’un copieux repas de réveillon, l’ouverture des cadeaux et la joie, des rires, des sourires, la bienveillance, la paisibilité, la famille Cadum et Ricoré réunie. Alors mise au point et ralenti sur ces hommes en smoking noir avec nœud papillon fleurant bon l’eau de toilette hors de prix, ces femmes en robe longue avec force pierreries aux doigts, coiffures impeccables, maquillage parfait. Ces enfants habillés de costumes miniatures, tous sages et si bien élevés. Ces petits chiens de préférence des pékinois ou des chats persans, venant encore relever de leur haute lignée la perfection de ce repas et de cette fête idéale.
Noël déchire
Le second cliché est celui de la famille parfaite qui se déchire.
A cette occasion les membres de toute la famille se retrouvent et les tensions entre les individus s’éveillent. Ainsi, cette fête sera l’occasion de règlements de comptes. Le cinéma l’a bien compris, Danièle Thompson avec son film « La Bûche » montre à merveille ces frictions entre sœurs, ces explosions de colère, de ressentiments, ces histoires tabous qui font surface tout d’un coup.
Noël, cette fête à la fois délicieuse et pernicieuse, sonne l’heure de vérité pour trois sœurs et pour leurs parents. Arnaud Desplechin dans « Un conte de Noël » relate les rivalités, les frustrations entre les membres d’une grande famille avec une scène mémorable où pendant le repas de réveillon, Mathieu Amalric ivre mort insulte les autres et finit complétement éméché sous la table au grand dam de toute la famille.
Ces deux films truculents nous montrent ce que nous connaissons tous. Peu de personnes ont eu la chance de ne vivre que des Noëls heureux.
Il me semble même que cette injonction de vivre dans le bonheur cette fête crée paradoxalement l’effet inverse chez les individus.
Mes patients commencent à me dire que Noël s’approchant, les familles se mettent à marchander, à faire pression pour que le réveillon ait lieu chez un tel plutôt que tel autre, que c’est trop violent et méchant d’aller dans l’autre famille, que tu es notre enfant et que Noël c’est toujours fêté chez nous et que donc tu es tenue de continuer… Noël et ses prise de tête. Noël et la culpabilité qu’engendre le Non que l’on n’ose enfin dire. « Non, je ne viendrai pas ce Noël ». Car Noël c’est souvent une grande pression psychologique. Mireille me dit : « Je suis stressée et angoissée dès que les décorations commencent à envahir les magasins. Je sais que je vais devoir aller chez mes parents dans leur maison de campagne. Il y aura ma sœur avec son mari et ses enfants. Je sais que je vais avoir droit à des remarques insidieuses, genre, tu es encore célibataire à ton âge, tu n’as pas d’enfants, tu attends quoi ? Tu t’y mets quand ? Ils se liguent cotre moi. Et moi, je n’ai qu’une envie, celle de fuir. Je n’aime ni la maison, qui me rappelle mon enfance, ni mes parents qui m’insupportent avec leur regard torve et plein de sous-entendus, ni ma sœur qui a une vie tellement rangée qu’elle est vieille et aigrie avant l’âge. Tout m’horripile, tout me stresse et pourtant je n’ose pas écouter mon envie profonde qui est de ne pas y aller et de ne pas fêter Noël. »
Noël en solitaire et célibataire… Mortel Noël ?
Enfin, Noël est aussi le cliché de la personne seule devant sa télé avec son dîner accompagnée de « sans »… Sans famille. Sans amoureux ou amoureuse. Sans enfants. Et le soir du réveillon, cette personne fait son grand burn-out, voire se suicide. Quelle fête…
Une croyance supplémentaire car il n’y a pas plus de suicides à Noël…
Noël serait-il une fête se résumant aux trois points que je viens de décrire ?
Non, bien évidement que non !
Noël se déclinera en fonction du vécu de chacun : source de joie ou de tracas et aussi de la décision personnelle de la vivre avec plaisir ou de faire la tête et de la subir.
Car seuls les enfants vivent Noël comme une féérie avec des étoiles plein les yeux et un réel plaisir !
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Podcast de trente minutes : vous pouvez aussi consulter mon interview dans l’émission en Quête de sens, de Marie-Ange de Montesquieu sur Radio Notre Dame, diffusée le 19 décembre 2022.